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alain de benoist - Page 93

  • Le pape François, vu d'ailleurs...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue d'Alain de Benoist, cueilli sur Boulevard Voltaire et consacré au pape François, qui achève bientôt la première année de son pontificat...

     

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    Le pape François veut une Église plus sobre, plus pastorale que doctrinaire

    Polémique sur notre nouveau pape, qui serait « marxiste » parce que fustigeant ce « libéralisme qui tue »… Retour à la doctrine sociale de l’Église catholique ?

    Dans son exhortation apostolique du 24 novembre dernier, Evangelii Gaudium, le pape François s’en est pris au système du marché en des termes absolument dénués d’équivoque. « Certains défendent encore, écrit-il, les théories qui supposent que chaque croissance économique, favorisée par le libre marché, réussit à produire en soi une plus grande équité et inclusion sociale dans le monde. Cette opinion, qui n’a jamais été confirmée par les faits, exprime une confiance grossière et naïve dans la bonté de ceux qui détiennent le pouvoir économique et dans les mécanismes sacralisés du système économique dominant. » Notant que, « pour pouvoir s’enthousiasmer avec cet idéal égoïste, on a développé une mondialisation de l’indifférence », il jette l’anathème sur le « fétichisme de l’argent » et la « dictature de l’économie sans visage ». Il dénonce les « idéologies qui défendent l’autonomie des marchés et la spéculation financière ». Il ajoute qu’on « ne peut plus recourir à des remèdes qui sont un nouveau venin, comme lorsqu’on prétend augmenter la rentabilité en réduisant le marché du travail, mais en créant de cette façon de nouveaux exclus ». « Une telle économie tue », conclut-il. Il n’en fallait évidemment pas plus pour que les Américains le traitent de « socialiste »…

    Il s’agit en fait d’une claire condamnation du libéralisme. Le libéralisme met au centre de sa doctrine un individu fictif, détenteur de droits inhérents à sa propre nature qui le rendraient propriétaire de lui-même. Le mythe du marché autorégulateur et autorégulé n’est que la projection économique de cette conception d’un individu autosuffisant. Le capitalisme financier, qui a pris le relais du vieux capitalisme industriel et marchand, repose tout entier sur la spéculation et le crédit (c’est-à-dire le principe usuraire du prêt à intérêt, que l’Église a longtemps sanctionné). La condamnation qu’en fait le pape François contraste avec l’indulgence pour le « bon capitalisme » (le principe du « marché libre », la capacité des marchés à réguler la vie économique, etc.) que l’on a fréquemment constatée dans les milieux catholiques. Elle va très au-delà de la « doctrine sociale » de l’Église, qui a trop souvent versé dans le paternalisme. Dans son entretien avec le Kölner Stadt-Anzeiger du 20 janvier, le cardinal du Honduras Óscar Andrés Rodríguez Maradiaga, l’un de ses plus proches collaborateurs, n’a pas eu tort de parler d’une « nouvelle ère » inaugurée par le pape François.

    Le passé péroniste du pape François n’est plus un secret pour personne. Certains s’en inquiètent et d’autres s’en félicitent. Et vous ?

    Pourquoi m’en inquiéterais-je ? À partir de la fin des années 1960, le futur pape François a été en contact étroit avec la mouvance péroniste. Il fut en particulier l’un des compagnons de route de l’Organisation unique du transfert générationnel (OUTG), mouvement péroniste plus connu sous le nom de Garde de Fer argentine, une organisation restée célèbre pour sa rhétorique anticapitaliste fondée par Alejandro Álvarez, dit « el Gallego » (le « Galicien »). En 1975, c’est même l’intervention de Jorge Bergoglio, alors provincial des jésuites, qui permit à Álvarez et ses amis de prendre le contrôle de l’Université jésuite del Salvador. Ce qui le distinguait à cette époque des théologiens de la libération, ce n’était pas l’« option préférentielle en faveur des pauvres », mais son refus d’encourager la lutte armée. Cela dit, sa critique du libéralisme trahit aussi l’influence des écrits du théoricien nationaliste argentin Leonardo Castellani (1899-1981), surnommé le « Chesterton latino-américain », qu’il a également connu.

    Ce pape, de droite ou de gauche ? Progressiste ou traditionaliste ? En matière sociétale, il a fait des ouvertures. En matière de dialogue interreligieux, également. Jésuite un jour, jésuite toujours ?

    Benoît XVI était un professeur, le pape François se veut proche du peuple. Apprécié pour sa simplicité, son style direct, voire son humour, il souhaite de toute évidence une Église plus sobre, dont les représentants donneraient l’exemple d’une vie plus frugale, une Église plus pastorale que doctrinaire, plus en prise avec les « périphéries existentielles », c’est-à-dire les « vrais gens ». Il s’agit, dit-il, d’en revenir à l’« esprit évangélique de sobriété et de pauvreté », ce qui est plutôt sympathique. Beaucoup de catholiques ont oublié que les premiers disciples de Jésus le « Nazôréen » devaient renoncer à toute propriété privée et mettre leurs biens en commun (Actes 2,44). Et l’Église, dans son histoire, n’a pas été la dernière à ignorer l’avertissement évangélique selon lequel « on ne peut servir à la fois Dieu et l’argent » (Matt. 6,24).

    Cela dit, si la popularité débridée dont jouit le pape ne se réduit pas à un phénomène médiatique, elle ne doit pas non plus faire illusion. Les intégristes l’attaquent déjà pour son manque d’intérêt manifeste pour les questions liturgiques, sa volonté de canoniser Jean XXIII ou son « entêtement » à se présenter, non comme pape, mais comme simple « évêque de Rome », au risque de « désacraliser » sa fonction. Mais il décevra aussi les progressistes, qui s’imaginent naïvement qu’il va changer la doctrine catholique. Le pape François se montrera plus bienveillant, plus compréhensif (à propos des divorcés-remariés, par exemple), mais il ne changera rien à la condamnation dogmatique du mariage homosexuel ou de l’avortement. Significative est, en revanche, son intention de convoquer un nouveau Synode sur la famille, alors qu’il s’en était tenu déjà un en 1980, au motif que la famille de cette époque « n’existe plus aujourd’hui ». L’immense travail de réforme qu’il a entrepris pour assainir la Curie et les finances du Vatican va en outre radicaliser une opposition interne qui ne s’exprime pour l’instant que de façon feutrée, mais qui ne manquera pas de lui savonner la planche.

    Alain de Benoist, propos recueillis par Nicolas Gauthier (Boulevard Voltaire, 2 février 2014)

     

     

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  • Le droit et les droits de l'homme...

    Les Presses universitaires de France viennent de rééditer un essai de Michel Villey intitulé Le droit et les droits de l'homme. Spécialiste du droit romain et de la philosophie du droit, Michel Villey était un critique implacable de la pensée juridique moderne.

    On pourra utilement compléter la lecture de ce livre avec l'essai d'Alain de Benoist, Au-delà des droits de l'homme (Krisis, 2004).

     

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    " La conception que retient Michel Villey des droits de l’homme est exposée dans un ouvrage polémique qui, à l’époque, avait le don d’agacer sérieusement ses contemporains : Le Droit et les droits de l’homme (PUF, 1983). Dans cet opuscule, Michel Villey confronte avec génie la philosophie d’inspiration médiévale qui est la sienne avec la conception moderne du droit et des droits de l’homme. Le résultat est grinçant. Pour lui, les droits de l’homme ne sont pas du droit, mais seulement un rêve que la folie des hommes a confondu avec l’art juridique authentique. Les droits de l’homme ne sont qu’un idéal, ils sont irréels, quand ils ne sont pas même indécents. Leur inefficacité est patente, à l’échelle de l’Histoire, puisqu’ils n’ont empêché ni l’Affaire Dreyfus, ni la Grande Guerre, ni la Shoah, ni les guerres coloniales et leurs nombreuses répliques – les « évènements » survenant en territoire périphérique – et leur effet pervers est d’ouvrir la voie à des revendications individuelles permanentes et constamment surenchéries qui atomisent la société politique et rongent par sissiparité le lien naturel unissant les membres d’une collectivité. "

    François Viangalli (Revue des droits et libertés fondamentaux, 15 décembre 2011)

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  • Hollande ou la soumission à la finance de marché...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue d'Alain de Benoist, cueilli sur Boulevard Voltaire et consacré aux choix affiché par François Hollande d'une politique ouvertement libérale ...

     

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    François Hollande : entre Feydeau et Klapisch…

    Depuis quelques semaines, la France vit au rythme du vaudeville élyséen. Ce qui fait beaucoup rire Laurent Gerra, logique. Et vous ?

    Je ne m’intéresse pas un instant à la vie sexuelle de François Hollande, qui me paraît d’une grande banalité (normalité ?). Que sa libido monte avec le chômage ou baisse avec le pouvoir d’achat m’est parfaitement indifférent, et je me fiche éperdument de savoir s’il ambitionne d’épouser demain Leonarda, tandis que sa Valérie se mettrait en ménage avec Dieudonné. Nous ne sommes pas aux États-Unis où, puritanisme oblige, un candidat à l’élection présidentielle vivant en concubinage notoire n’aurait pas la moindre chance d’être élu. Je ne ferai que deux observations. L’une pour rappeler que le style, c’est l’homme. De ce point de vue, avec le scooteriste de l’Élysée, on navigue vraiment entre Feydeau et Cédric Klapisch, assez loin de l’élégance toute italienne avec laquelle Berlusconi assumait au moins ses soirées libertines. L’autre, plus fondamentale. Valérie Trierweiler est une journaliste, Julie Gayet une comédienne, Carla Bruni une chanteuse. On pourrait aussi citer Montebourg et Audrey Pulvar, Strauss-Kahn et Anne Sinclair, Bernard Kouchner et Christine Ockrent, et tant d’autres. Que les hommes politiques manifestent une invincible tendance à choisir leurs partenaires de sexe dans le monde de la communication, du show-business ou de la paillette médiatique confirme d’une manière extraordinairement révélatrice qu’ils appartiennent eux-mêmes désormais à la société du spectacle. Closer, complément du Journal officiel !

    Virage social-libéral ou social-démocrate ? Durant sa campagne, François Hollande a tenté de nous faire croire qu’il était « de gauche », avec la finance sans visage pour ennemi principal. Voudrait-il désormais se faire passer pour un homme « de droite » ?

    Les annonces économiques faites par François Hollande dans sa conférence de presse constituent le premier événement véritablement historique de son quinquennat. Les réactions ont été significatives. « Enfin ! », s’est écriée Laurence Parisot, dont le successeur, Pierre Gattaz, n’a pas hésité à présenter le MEDEF comme le véritable inspirateur de ce qu’il a décrit comme le « plus grand compromis social depuis des décennies », tandis que Jean-François Copé reconnaissait que ces mesures étaient « des propositions portées depuis des années par l’UMP ». Il y a longtemps, en effet, que le patronat demandait, en échange de promesses d’embauche illusoires, à être exonéré des cotisations familiales. Le « pacte de responsabilité », c’est en réalité d’abord 30 milliards d’euros de cadeaux aux actionnaires et aux grands patrons. C’est ensuite l’aveu du grand retournement de la politique économique du PS, son ralliement à la politique de l’offre et à l’ordre libéral, c’est-à-dire sa soumission à la finance de marché.

    Quand le PS se disait « socialiste », il était déjà social-démocrate. Aujourd’hui qu’il s’affirme « social-démocrate », il est en fait devenu libéral de gauche, voire libéral tout court (« ultralibéral », dit même Marine Le Pen). En satisfaisant aux revendications de classe du MEDEF, il donne à voir son vrai visage. « Mon ennemi, c’est la finance », disait en effet Hollande quand il était en campagne pour l’élection présidentielle. Avec des « ennemis » comme celui-là, on n’a plus besoin d’amis ! Le chef de l’État n’a pas seulement cocufié Valérie Trierweiler mais aussi, ce qui est plus grave, tous ceux qui ont voté pour lui. Permettez-moi d’être plus sensible à son virage libéral qu’à son tournant libidinal.

    Si la gauche semble aujourd’hui s’égarer, grande est l’impression que la droite se perd aussi, paraissant maudire les effets dont elle chérit les causes. Soit tout le paradoxe de journaux tels que « Valeurs actuelles » ou « Le Figaro Magazine », dans lesquels l’immigration est à juste titre dénoncée, mais qui continuent de prôner un capitalisme financiarisé et transnational. Peut-on être capitaliste et de droite ?

    Il existe une tradition anticapitaliste de droite, qu’on a trop oubliée. Elle a malheureusement souvent versé dans l’exaltation du corporatisme ou la dénonciation conspirationniste des « Rothschild », des « 200 familles » ou des méchants banquiers. Par myopie ou paresse intellectuelle, il lui a manqué une analyse en profondeur de l’essence même du capital. Il est évidemment plus facile de bavarder sur les dernières péripéties politiciennes que de s’interroger sérieusement sur la théorie de la valeur, la crise de valorisation du capital, le fétichisme de la marchandise et la réification des rapports sociaux.

    À une époque où la mondialisation capitaliste ne cesse d’aggraver les inégalités, non seulement entre les pays, mais à l’intérieur de chaque pays, il serait temps pour les gens « de droite » de réaliser que le capitalisme s’est aujourd’hui pleinement révélé comme un système beaucoup plus foncièrement « cosmopolite » et plus destructeur d’identités collectives que ne l’a même jamais été le communisme. Et qu’il l’est depuis ses origines : le marchand, expliquait déjà Adam Smith, n’a d’autre patrie que l’endroit où il réalise son meilleur bénéfice.

    L’essence même du capitalisme mondialisé veut qu’il détruise tout ce qui peut faire obstacle à l’expansion planétaire du marché, à commencer par toute forme de société traditionnelle, et en même temps que s’impose un type anthropologique d’individu malléable, acquis aux seules valeurs marchandes, consommateur d’autant plus docile qu’il sera coupé de tous ses repères. Le principe même de suraccumulation du capital, la logique de l’illimitation (le « toujours plus ») font que le capitalisme déstabilise tout ce qu’il touche, qu’il étend partout le désordre, l’entropie et le chaos, le mélangisme et l’indistinction. Il y a de ce point de vue une parfaite complémentarité entre le libéralisme économique « de droite » et le libéralisme sociétal « de gauche », complémentarité dont le gouvernement Hollande, qui est vraiment tout sauf un gouvernement « socialiste », donne aujourd’hui un exemple achevé.

    Alain de Benoist, propos recueillis par Nicolas Gauthier, (Boulevard Voltaire, 28 janvier 2014)

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  • Logique hygiéniste et État maternel...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue d'Alain de Benoist, cueilli sur Boulevard Voltaire, dans lequel il évoque l'empire du Bien et son idéologie...

     

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    Gare à la logique hygiéniste imposée par l’État maternel thérapeutique !

    Vous venez de publier aux Éditions Pierre-Guillaume de Roux « Les démons du bien » , essai dont la première partie se veut une critique radicale de la tyrannie des bons sentiments. A quoi attribuez-vous l’émergence de ce néo-cléricalisme ?

    À l’esprit du temps. Mais l’esprit du temps n’est jamais que la résultante d’une tendance de fond. À partir du XVIIIe siècle, la montée sociale de la classe bourgeoise a simultanément marginalisé les valeurs aristocratiques et les valeurs populaires, en les remplaçant par ce que Tocqueville appelait les passions « débilitantes » : utilitarisme, narcissisme et triomphe de l’esprit de calcul. La vogue de l’idéologie des droits de l’homme a, de son côté, permis à l’égoïsme de se draper dans un discours « humanitaire » dont la niaiserie est le trait dominant. L’accélération sociale et la montée de l’insignifiance ont fait le reste.

    L’un des traits caractéristiques de « l’empire du bien » est cet envahissement du champ politique par le lacrymal et le compassionnel qui fait qu’à la moindre catastrophe ayant une portée médiatique, les ministres se précipitent désormais pour exprimer leur « émotion ». C’est également révélateur de la submersion de la sphère publique par le privé. La vie politique bascule du côté d’une « société civile » appelée à participer à la « gouvernance » par des « demandes citoyennes » qui n’ont plus le moindre rapport avec l’exercice politique de la citoyenneté. Il est désormais beaucoup mieux vu (et aussi plus rentable) d’être une victime qu’un héros.

    Parallèlement, la marchandisation de la santé va de pair avec la médicalisation de l’existence, c’est-à-dire avec un hygiénisme dogmatique qui se traduit par une surveillance toujours plus grande des modes de vie. Elle prescrit socialement des conduites normalisées, cherchant ainsi à domestiquer toutes les façons d’être qui se dérobent aux impératifs de surveillance, de transparence et de rationalité. On assiste à l’instrumentalisation de la vie humaine au travers d’une logique hygiéniste imposée par l’État maternel thérapeutique.

    L’évolution du langage est également significative. On préfère parler désormais de « fractures sociales » – aussi accidentelles en somme que les fractures du tibia – que de véritables conflits sociaux. Il n’y a plus d’exploités, dont l’aliénation renvoie directement au système capitaliste, mais des « déshérités », des « exclus », des « défavorisés », des « plus démunis », tous également victimes de « handicaps » ou de « discriminations ». La notion de « lutte contre-toutes-les-discriminations » a d’ailleurs elle-même remplacé celle de « lutte contre les inégalités », qui évoquait encore la lutte des classes. Dans 1984, George Orwell expliquait très bien que le but de la « novlangue » est « de restreindre les limites de la pensée » : « À la fin, nous rendrons impossible le crime par la pensée, car il n’y aura plus de mots pour l’exprimer. » Le politiquement correct fonctionne comme la « novlangue » orwellienne. L’usage de mots détournés de leur sens, de termes dévoyés, de néologismes biaisés ressortit de la plus classique des techniques d’ahurissement. Pour désarmer la pensée critique, il faut sidérer les consciences et ahurir les esprits.

    Les médias ne cessent de dénoncer la menace de l’« ordre moral », tout en nous faisant en permanence la morale. Paradoxe ?

    C’est tout simplement qu’une morale en a remplacé une autre. L’ancienne morale prescrivait des règles individuelles de comportement : la société était censée se porter mieux si les individus qui la composaient agissaient bien. La nouvelle morale veut moraliser la société elle-même. L’ancienne morale disait aux gens ce qu’ils devaient faire, la nouvelle morale décrit ce que la société doit devenir. Ce ne sont plus les individus qui doivent se conduire de façon droite, mais la société qui doit être rendue plus « juste ». L’ancienne morale était ordonnée au bien, tandis que la nouvelle est ordonnée au juste. Alors même qu’elles prétendent rester « neutres » quant au choix des valeurs, c’est à cette nouvelle morale, fondée sur le devoir-être (le monde doit devenir autre chose que ce qu’il a été jusqu’ici), qu’adhèrent les sociétés modernes. Nietzsche aurait parlé de « moraline ».

    L’essentiel de votre livre porte sur la théorie du genre, dont tout le monde parle en ce moment. Vous avez été l’un des premiers intellectuels à en faire une critique argumentée. Une fois de plus, à quoi attribuer ce phénomène venu des USA ? Et d’abord, de quoi s’agit-il exactement ?

    La théorie du genre est une théorie qui prétend déconnecter radicalement l’identité sexuelle du sexe biologique. Le sexe, remplacé par le « genre » (gender), serait une pure construction sociale. Cette théorie repose sur un postulat de « neutralité » de l’appartenance sexuelle à la naissance : il suffirait d’élever un garçon comme une fille pour en faire une femme, ou d’élever une fille comme un garçon pour en faire un homme. Ceux qui sont d’un avis différent sont accusés de propager des « stéréotypes » (on oublie qu’un stéréotype n’est jamais qu’une vérité empirique abusivement généralisée). Cette théorie a pour effet de confondre les deux sexes et de rendre plus difficile à chacun d’eux d’assumer son identité.

    La théorie du genre est en fait insoutenable. Non seulement son postulat d’une « neutralité sexuelle » originelle ne correspond pas à la réalité, mais on constate que l’appartenance sexuée favorise dès la plus petite enfance, avant tout conditionnement, des comportements spécifiques à chaque sexe. Cela ne signifie pas que les constructions sociales ne jouent aucun rôle dans la définition de l’identité sexuelle, mais que ces constructions sociales se développent toujours à partir d’une base anatomique et physiologique. La théorie du genre confond par ailleurs le sexe biologique, le genre (masculin ou féminin), l’orientation sexuelle et ce qu’on pourrait appeler le sexe psychologique (le fait qu’un certain nombre de femmes ont des traits de caractère masculins, et un certain nombre d’hommes des traits de caractère féminins). Reposant sur l’idée qu’on peut se créer soi-même à partir de rien, elle relève en fin de compte d’un simple fantasme d’auto-engendrement. Il faut pourtant la prendre très au sérieux. Dans les années qui viennent, c’est en référence à elle que l’on va voir se multiplier à l’infini les accusations de « sexisme ».

    Alain de Benoist, propos recueillis par Nicolas Gauthier (Boulevard Voltaire, 13 janvier 2014)

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  • La gauche et ses mystères...

    Les éditions Flammarion viennent de rééditer, dans leur collection de poche Champs, Les mystères de la gauche, le dernier essai de Jean-Claude Michéa. Nous reproduisons ci-dessous la recension qu'en avait fait Alain de Benoist dans la revue Éléments.

     

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    Vers un nouveau bloc historique

    Dans ce nouveau livre, dont chaque page serait à citer, Jean-Claude Michéa approfondit le sillon creusé avec Le complexe d'Orphée (2011). Il rappelle que la « gauche» moderne est née, au moment de l'affaire Dreyfus, d'un compromis tactique entre l'aspiration ouvrière à la justice sociale et l'idéologie bourgeoise du progrès illimité. Cette fusion contre-nature ne pouvait qu'être provisoire, car le socialisme, s'il rejette assurément les institutions d'Ancien Régime, n'implique nullement le refus d'un modèle de vie communautaire hérité du passé, et moins encore celui de l'idée que la capacité de l'homme à agir indépendamment de ses seuls intérêts égoïstes est le fondement de toute attitude honorable. Aujourd'hui totalement coupée du peuple et convertie au modèle du marché, la «gauche» reconnaît implicitement dans le capitalisme le meilleur moyen de « progresser» dans la fuite en avant vers l'éradication du passé, le déracinement intégral, la suppression des frontières et la suraccumulation des profits. Son libéralisme « sociétal» (le « pourtoussisme») rejoint alors tout naturellement le libéralisme économique d'une« droite» acquise à l'individualisme rapace - Caroline Fourest pourrait épouser Laurence Parisot! -, l'un et l'autre dérivant d'une même pulsion, aujourd'hui mise au service de la construction d'une Europe procédurière et marchande. Le « nom de gauche», dit Michéa, est devenu «inutilement diviseur». Le clivage droite-gauche n'a dès lors plus lieu d'être. Il n'est plus qu'imposture et mystification, ainsi que Cornelius Castoriadis l'avait déjà constaté il y a plus d'un quart de siècle.

    Le caractère révolutionnaire de la Forme-Capital s'opposant au goût de la « décence commune» du socialisme véritable, la coupure essentielle ne passe plus entre la droite et la gauche, mais entre une oligarchie qui aspire à l'« atomisation du monde» (Engels) et les classes populaires de toutes origines. Signe avant-coureur d'un nouveau bloc historique? Intelligent et lucide, perspicace et exaltant.

    Alain de Benoist (Éléments n°147, avril - juin 2013)

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  • L’Europe est-elle encore une puissance politique ?...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue d'Alain de Benoist, cueilli sur Boulevard Voltaire, dans lequel il s'exprime sur la politique étrangère de la France en Afrique, notamment ...

     

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    L’Europe est-elle encore une puissance politique ?

    Il semblerait que de plus en plus de gens estiment que nos soldats n’ont rien à faire en Afrique. La politique étrangère de la France devrait-elle se résumer à celle du Costa Rica ?

    De façon générale, nos concitoyens se passionnent pour la moindre anecdote de politique intérieure, mais s’intéressent assez peu à la politique étrangère. Qui peut citer, par exemple, le nom d’un seul ministre du gouvernement d’un pays voisin ? La politique étrangère est pourtant ce qui compte le plus. C’est elle qui détermine le rang d’un pays. C’est elle qui exprime l’idée qu’il se fait du nomos de la Terre. C’est elle, aussi, qui révèle le mieux l’essence du politique, puisqu’elle implique la dualité du couple ami-ennemi. Nous sommes, par ailleurs, aujourd’hui dans un monde globalisé, où tout retentit instantanément sur tout. Non seulement les frontières n’arrêtent plus rien, mais la mondialisation abolit l’espace et le temps : alors que le monde de la modernité était un monde de non-synchronicité, la mondialisation réalise une synchronicité planétaire (le « temps zéro »). Difficile, dans ces conditions, de rester le nez sur la vitre ou de se replier dans l’entre-soi. Mais encore faut-il avoir quelque curiosité, être capable de s’informer, posséder quelques notions de géopolitique. Et savoir raisonner avec des catégories un peu plus intelligentes que le « fascisme », les « États voyous » ou les « lécheurs de babouches ».

    L’exemple que vous donnez n’est cependant pas le meilleur. On peut en effet être convaincu de la nécessité d’avoir une politique étrangère et contester l’opportunité des récentes interventions en Afrique. Si l’on n’avait pas été assez stupides pour faire la guerre à la Libye avec pour seul résultat d’y instaurer la guerre civile et le chaos – ce qui a entraîné la déstabilisation de tout le Sahel –, on se serait épargné l’intervention au Mali, où nos troupes vont bientôt se retrouver prises entre deux feux. Quant à la République centrafricaine, où l’on est au contraire intervenu beaucoup trop tard – en ignorant de surcroît les réalités ethno-politiques locales –, les déboires s’y accumulent déjà. La vérité est que la France n’a plus de politique étrangère (elle s’est totalement déconsidérée dans l’affaire syrienne), et que les initiatives qu’elle prend sont plus favorables à l’axe américano-qataro-israélien qu’aux intérêts français. Si l’on y ajoute la baisse drastique des crédits militaires, tout cela augure mal de l’avenir.

    Quand Bernard Antony, ancien député européen FN, écrit que ce qui se passe en Palestine « ne nous regarde pas », n’est-ce pas étrange, pour un catholique revendiqué, de ne pas s’intéresser à cette terre qui a vu naître le Christ ?

    On compte aujourd’hui 90 000 chrétiens vivant dans les territoires occupés. Plusieurs figures éminentes de la résistance palestinienne sont issues de la communauté chrétienne (il suffit de citer les noms de Georges Habache, Hanan Ashrawi ou Nayef Hawatmeh). En avril dernier, les chrétiens de Palestine ont adressé une lettre ouverte au pape François pour protester contre la décision israélienne de bâtir un « mur de sécurité » qui va séparer Bethléem de Jérusalem au profit des colonies, la qualifiant « d’attaque contre le tissu social palestinien et la présence palestinienne chrétienne ». Sur le sort de ces Palestiniens chrétiens qui partagent le sort de leurs concitoyens musulmans dans les territoires occupés, on peut lire le rapport accablant publié en 2012 par le Conseil œcuménique des Églises sous le titre Faith under Occupation. Cela dit, M. Antony est libre de penser ce qu’il veut. Peut-être pourrait-on seulement lui rappeler que Jésus est maudit dans le Talmud, alors qu’il est vénéré (mais pas adoré) dans le Coran. Et subsidiairement, que les milices chrétiennes de Centrafrique ne sont pas moins criminelles que les milices musulmanes.

    Vous avez été l’un des premiers, à l’époque de la guerre froide, à appeler à une alliance entre l’Europe et ce que l’on nommait naguère le tiers monde. Quel codicille ajouter aujourd’hui ?

    Il y a peu de choses à ajouter, sinon qu’on a changé d’époque. Dans le monde bipolaire de la guerre froide, l’Europe aurait pu prendre la tête du mouvement des non-alignés. À l’époque des pays émergents, elle pourrait chercher à s’imposer comme une puissance autonome – et, simultanément, travailler à l’émergence d’un axe Paris-Berlin-Moscou. Mais l’Europe n’en a ni les moyens ni, surtout, la volonté. Elle préfère se transformer en un vaste marché plutôt que de devenir une puissance qui serait en même temps un creuset de culture et de civilisation. La grande alternative à laquelle nous sommes confrontés est pourtant plus claire que jamais : il s’agit de savoir si le nouveau nomos de la Terre sera unipolaire, c’est-à-dire dépendant globalement de la puissance américaine et des marchés financiers, ou bien multipolaire, les grands blocs continentaux s’imposant comme autant de pôles de régulation de la globalisation.

    À long terme, l’Afrique sera le continent qui comptera le plus, ne serait-ce qu’en termes de ressources naturelles. Les Chinois s’y installent, les Américains aussi. Que reste-t-il de la Françafrique ?

    Je ne suis pas sûr que l’Afrique sera, à terme, le continent « qui comptera le plus » (sauf peut-être sur le plan démographique). De la Françafrique, il reste des vestiges. Mais ce qui est sûr, c’est qu’il n’y a pas eu de décolonisation économique, commerciale ou technologique. Même sur le plan politique, l’Afrique reste en proie à des conflits ethniques dus à des frontières coloniales qui ont artificiellement coupé des peuples en deux ou réuni dans un même pays des ethnies antagonistes depuis toujours.

    La mondialisation elle-même, qui est dans une large mesure une nouvelle forme d’occidentalisme, fonctionne comme une structure néocoloniale fondée sur ce mythe du « développement » qu’a si bien critiqué Serge Latouche. Elle équivaut à une colonisation des sociétés humaines par la logique du profit et la finance de marché, puisqu’elle vise à généraliser à l’échelle planétaire les valeurs de l’Occident libéral : règne de l’individu, universalité abstraite, etc. – l’idée générale étant que ce qui n’a pas de sens économique n’en a aucun. La mondialisation est d’abord, et avant tout, une marchandisation du monde, où le fétichisme de la marchandise et le primat de la valeur d’échange entraînent une réification généralisée des rapports sociaux. Le système capitaliste continue plus que jamais à éradiquer toutes les cultures enracinées, et à supprimer toutes les structures traditionnelles qui empêchent l’émergence d’un individu manipulable à merci sur le grand marché planétaire. La mondialisation fait du déracinement un idéal et une norme. « En ce sens, dit à juste titre Hervé Juvin, la culture-monde est bien une négation de la condition humaine. »

    Alain de Benoist, propos recueillis par Nicolas Gauthier (Boulevard Voltaire, 5 janvier 2014)

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